« Je voulais juste aller plus vite »
Surnommée la « beau volcan noir » de la vitesse », Michèle Mouton est la femme la plus titrée de l’histoire du Championnat du Monde des Rallyes (WRC) et a piloté des voitures légendaires telles que l’Alpine A110 et l’Audi Quattro. Résidente au Luxembourg, elle a accepté de revenir sur sa carrière et son travail pour permettre aux femmes de se faire une place derrière un volant.
Michèle Mouton
J’ai estimé avoir accompli une période satisfaisante, comme je l’avais fait auparavant pour la Commission des femmes pendant douze ans. J’ai jugé qu’il était temps de laisser la place aux plus jeunes, qui sont désormais prêts à prendre la relève.
Michèle Mouton
Je suis toujours en relation avec la FIA pour examiner plus sereinement d’autres championnats que le championnat du monde de rallye. Je vais notamment évaluer le niveau de sécurité dans les championnats régionaux de la FIA, situés en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud ou au Moyen-Orient. Je vais donc continuer à voyager, utiliser mon expérience pour ces évaluations, puis laisser la place complètement. J’ai beaucoup d’envie et de motivation pour réaliser des projets que je n’ai pas eu le temps de faire pendant toutes ces années. Pourvu que la santé soit au rendez-vous.
Michèle Mouton
Vous savez, c’est ce que j’explique souvent : nous n’avions pas vraiment le choix. Soit vous ralentissez par peur, soit vous donnez le maximum en sachant que les autres feront de même. Je disais toujours que les spectateurs étaient comme des arbres trop proches de la route qu’il fallait éviter à tout prix pour ne pas avoir d’accident. Nous étions obligés de conduire dans ces conditions, sans aucune sécurité. Quand vous n’avez pas le choix, vous faites de votre mieux. C’est d’autant plus incroyable qu’en cinq ans de championnat du monde, il n’y a pas eu d’accident grave dans ces conditions. C’est vraiment incroyable, ou alors nous avons eu beaucoup de chance. Nous conduisions avec cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes, sachant qu’il fallait absolument éviter les accidents. Quand je vois des images aujourd’hui, je suis encore plus affolé. Nous étions concentrés sur la route, ressentant la présence des gens autour de nous sans les regarder, focalisés sur notre conduite. Mais quand je vois les images actuelles, je me demande comment nous avons pu conduire ainsi. C’est encore plus impressionnant aujourd’hui qu’à l’époque.
Michèle Mouton
Non, non, non, je ne pense pas. Quand on sait comment une voiture fonctionne aujourd’hui, avec autant d’adhérence et de grip sur la route, lorsqu’une voiture de rallye de ce niveau décroche, il n’y a plus de limites. Il est donc essentiel de reculer. De plus, je pense que les spectateurs doivent comprendre que lorsqu’on est un peu plus loin, on voit mieux l’action que lorsqu’on est trop près. En étant trop près, on perd en visibilité. En reculant, on voit la voiture arriver, on perçoit différemment et ce n’est pas inintéressant du tout. En tant que responsable de la sécurité, nous devons respecter les distances en fonction du parcours et de tout ce qui se passe. Il n’y a aucune discussion là-dessus.
« À notre époque, c'était la liberté totale »
Michèle Mouton
Michèle Mouton
Oui, sûrement. Mais je ne pense pas que cela soit dû à l’électrification des voitures. Il y a une telle différence entre le rallye de mon époque, qui était de l’endurance pure, et le rallye actuel. Nous roulions nuit et jour sans arrêt, enchaînant les spéciales. J’ai gagné le rallye San Remo avec 62 épreuves spéciales. Aujourd’hui, ils en font seize ou dix-huit au maximum, souvent en répétant les spéciales. Nous ne répétions jamais les spéciales, c’était une seule fois. Nous sommes passés du rallye endurance au rallye sprint. Comme tous les sprints, c’est très intense mais très court. Vous n’avez pas le temps de vous habituer à voir les pilotes, ce qu’ils font, comment ils conduisent. Cela dure trop peu de temps. Le rallye actuel est une formule sprint, avec moins d’histoires à raconter et peu d’incidents. Vous ne pouvez même pas parler des pneus car ils sont tous identiques, il n’y a pas de compétition au niveau des pneumatiques. Avant, les gens avaient le temps de suivre l’histoire car cela durait une semaine, comme le rallye Monte-Carlo par exemple.
Michèle Mouton
À mon époque, nous faisions une concentration de 2500 kilomètres. Ensuite, il y avait une épreuve de classement de quatre ou cinq spéciales. Après cela, nous rentrions à Monaco, puis nous repartions pour le parcours commun qui durait deux jours et une nuit. Les meilleurs 80 classés partaient pour la dernière nuit du Turini avec cinq ou six spéciales supplémentaires. Il y avait donc le temps de raconter des histoires. Les journalistes et les spectateurs suivaient le rallye, tout le monde participait, ce qui créait des histoires et des aventures. Aujourd’hui, nous n’avons plus ce temps. Le rallye actuel se concentre sur les écarts entre les pilotes, comme un sprint. Si vous regardez un marathon de 42 kilomètres, vous avez le temps de voir les foulées des coureurs, comment ils courent. Sur un sprint de 100 mètres, il est difficile de voir la meilleure foulée entre deux athlètes. C’est la même chose pour le rallye. Le rallye a changé en fonction de cela, et pas forcément à cause de l’électrification. Les voitures de la R1 font encore beaucoup de bruit en spéciale. C’est seulement dans les parcs d’assistance qu’elles roulent sur la partie électrique. Pour les spectateurs dans les spéciales, les sensations sont les mêmes, et cela va beaucoup plus vite qu’à mon époque.


Michèle Mouton
Je pense que c’est l’ensemble de la discipline qui a changé, et pour susciter de l’intérêt, il faut qu’il y ait des compétitions serrées. Nous avons eu des années où les batailles entre pilotes étaient incroyables, avec des écarts de seulement 0,2 seconde après un jour et demi de rallye. Le jugement n’est plus le même qu’à mon époque. Il ne faut pas oublier qu’à mon époque, le rallye était beaucoup plus populaire que la Formule 1, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Je crois aussi que pour les jeunes, la voiture n’a plus le même attrait. Beaucoup de jeunes aujourd’hui ne veulent même pas passer leur permis de conduire, car ils n’ont pas besoin de voiture. À mon époque, la voiture représentait l’indépendance et la liberté. Nous avions tous une envie folle de conduire et de posséder une voiture, car cela signifiait quelque chose d’important. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Avec les radars et les contraventions, vous risquez de perdre votre permis. Il y a tellement de restrictions, plus rien n’est libre. Je pense que cela contribue à désintéresser les jeunes de la voiture.
Michèle Mouton
Non, absolument pas. Tout est plus compliqué aujourd’hui. À notre époque, c’était la liberté totale. Nous partions et faisions autant de reconnaissances que nous voulions. En fait, nous n’en faisions pas beaucoup parce que c’était libre et nous pouvions faire ce que nous voulions. Les rallyes étaient tellement longs que nous n’avions pas besoin de beaucoup reconnaître. Il fallait savoir ménager sa monture, tenir la distance physiquement, et préserver la voiture pour éviter les incidents et les crevaisons. Il y avait beaucoup de paramètres à gérer parce que c’était de l’endurance. Aujourd’hui, les reconnaissances sont limitées à deux passages à des heures précises. Tout est limité et compliqué. En comparant, je me dis heureusement que je n’ai pas fait ça aujourd’hui, car cela m’ennuierait vraiment de faire dans ces conditions. À notre époque, nous passions notre temps ensemble dans les hôtels avec des voitures de reconnaissance. Aujourd’hui, les voitures ne doivent pas faire de bruit, ne doivent pas déranger, et sont limitées à 60 km/h. Il y a beaucoup plus de contraintes qu’à mon époque. Je suis ravi d’avoir fait ça à mon époque.
« Il n'y a pas 36 000 façons d'aller vite et de conduire vite »
Michèle Mouton
Michèle Mouton
Malheureusement, comme je vous le disais au début, j’ai travaillé pendant douze ans à la Commission des femmes de la FIA pour essayer d’attirer plus de femmes dans le rallye. En douze ans, ni moi ni les autres n’avons réussi à augmenter significativement leur nombre. Cependant, l’intérêt pour la Formule 1 a beaucoup augmenté par rapport à mon époque. Pendant ces douze ans, nous avons vu une évolution incroyable du nombre de filles qui veulent piloter en circuit, mais pas beaucoup en rallye. Je ne comprends pas pourquoi, car pour moi, le rallye et les épreuves d’endurance en tout-terrain sont celles où les femmes sont les plus solides, car cela demande de la résistance et de l’endurance. Cette année, pour la première fois, deux femmes vont faire la saison de rallye WRC2 pratiquement complète, ou au moins la moitié pour certaines. Sarah Rumeau va faire toute la saison complète et l’Italienne Rachele Somaschini va aussi disputer quelques rallyes. C’est positif. Il faut rester optimiste et espérer que cela ouvre la voie à plus de femmes dans le rallye. Il n’y a pas de barrières, c’est ça qu’il faut comprendre.
Michèle Mouton
Il n’y a pas de barrières, il n’y a pas. À mon époque, il était aussi difficile pour moi d’obtenir un volant. Mais dès qu’une femme se faisait remarquer, c’était beaucoup plus facile pour elle que pour les hommes, car l’aide arrivait automatiquement.
Michèle Mouton
Les femmes sont libres de conduire les voitures. Je pense que ce sont souvent les femmes qui se mettent des barrières elles-mêmes. Je dis toujours que si vous mettez deux pilotes dans une voiture, en mettant les cheveux sous un casque, vous ne pouvez pas dire si c’est une femme ou un homme qui conduit. Il n’y a pas 36 000 façons d’aller vite et de conduire vite. Il y a une seule trajectoire. Vous ne pouvez pas dire « ah, ça c’est une femme et ça, c’est un homme ». La seule chose qui change, c’est la motivation, le mental. Moi, je ne pouvais pas accepter que dans une équipe où mon collègue avait la même voiture que moi, il aille plus vite que moi. Je ne pouvais pas le concevoir. Donc j’ai tout fait pour essayer de le surpasser. Ce n’est pas que j’étais plus douée, car je n’ai jamais voulu faire ce sport. J’y suis arrivée par hasard. Mon père m’a dit « Écoute, plutôt que de te voir copilote, je préfère que tu essaies toi-même ». Il m’a mis au défi et je me suis dit « je vais te montrer que je suis capable ». Ça a commencé comme ça et ça a plutôt bien marché. Mais c’est la tête, ce n’est pas la technique. Je n’ai jamais appris à conduire vite. J’ai juste voulu aller plus vite. Quand je suis arrivée en championnat de France avec le meilleur pilote en France, Jean-Claude Andruet, je ne pouvais pas concevoir qu’il me mette trois secondes au kilomètre. C’était inconcevable. Je ne savais pas comment j’allais y arriver, mais je devais y arriver. Pour moi, c’est vraiment le mental. On va vite par la motivation. Tout le monde sait accélérer à fond et freiner tard. Ce n’est pas difficile si vous voulez le faire. Mais pour contrôler tout ça, il faut apprendre et travailler. J’ai appris toute seule. Personne ne m’a appris à conduire vite. Finalement, c’est la tête et la motivation qui font la différence.


Michèle Mouton
Pour les garçons, c’est la même chose. Ils rencontrent les mêmes problèmes. Quand vous débutez en rallye, même si vous êtes le meilleur sur le papier, si vous n’avez pas les moyens de commencer, vous ne commencez pas. Il n’y a pas de différence financière entre une femme et un homme. Le sport automobile coûte cher, peu importe qui le pratique. J’ai connu de bons pilotes qui n’ont pas trouvé les moyens financiers pour progresser, malgré leur talent. C’est souvent une question de chance. Il ne faut pas oublier que le rallye, en particulier, n’est pas un sport populaire. Je ne connais pas de parents qui poussent leurs enfants à faire du sport automobile. On les encourage plutôt à jouer au foot, au tennis, au golf, mais rarement à faire du sport automobile. J’ai eu la chance d’avoir un père qui aurait aimé faire ce qu’il m’a proposé. Il a vécu à travers moi ce qu’il aurait aimé faire lui-même. Je l’ai compris plus tard, quand on m’a posé la question. Il m’a proposé de m’acheter une voiture et de me mettre au volant. Moi, je n’avais jamais voulu être au volant. J’ai commencé comme copilote et j’étais très bien dans ce rôle. Mais j’ai eu cette chance. Je n’avais jamais voulu faire du sport automobile. J’ai découvert le rallye à 22 ans, quand j’ai commencé.
Michèle Mouton
J’étais destiné à autre chose. Je faisais des études et je travaillais. Je voulais travailler avec des délinquants, donc j’ai fait beaucoup de stages. À l’époque, je travaillais avec des délinquants mixtes à Annecy et à Grenoble, ainsi qu’à plusieurs autres endroits dans ma région, dans le sud de la France. Et puis après, j’ai décidé de me consacrer complètement au rallye.
Michèle Mouton
Jamais ! Loin de là. Au contraire, il faut toujours savoir laisser des portes ouvertes dans la vie, sinon vous refusez les opportunités.
Michèle Mouton
Cela me semble être une bonne moyenne. Si mes souvenirs sont bons, entre 2020 et 2022, la FIA comptait à peine 5 % de femmes parmi les licenciées. Donc, nous ne sommes pas loin de cette proportion, d’autant plus dans un pays où il n’y a pas d’épreuves majeures pour se démarquer ou briller, donc je trouve que c’est pas mal.
Michèle Mouton
Mon avis est que Grégoire est jeune et qu’il en est à sa deuxième saison en WRC. Il a eu quelques déboires en début de saison, mais globalement, il a progressé. Il était avec Adrien, qui avait un peu plus d’expérience, ce qui est toujours stimulant d’avoir quelqu’un devant soi. Cette année, ce sera peut-être un peu plus difficile pour lui en tant que leader de son équipe. Mais vous savez, c’est toujours la même chose : motivation, détermination, entraînement, rouler et essayer de faire de son mieux. Il est capable, mais il faut lui donner un peu de temps. Je trouve que le niveau du WRC aujourd’hui est très élevé. Les voitures ne sont pas forcément faciles à conduire. Aller vite est une chose, mais conduire aux limites de ses capacités et des possibilités de la voiture est encore plus difficile. Il faut s’adapter et progresser doucement, car si on veut trop bien faire, on risque de faire des erreurs. Je pense qu’il est dans le bon timing pour essayer et progresser. Son objectif devrait être de faire un peu mieux que l’année dernière, ce qui est suffisant à son niveau pour progresser. Après trois ou quatre années en WRC, nous aurons un autre point de vue et nous verrons comment il a progressé. Aujourd’hui, tout va très vite, il faut donc progresser rapidement. On ne vous laisse pas beaucoup de chances, il doit donc obtenir des résultats pour pouvoir continuer.