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Selon vous, les cyclistes ne sont pas assez conscients de la nécessité d’être bien couverts à l’aide d’une Responsabilité Civile. Pourquoi est-ce important d’être bien assuré en vélo ?

Georges Ravarani :

Le cycliste peut bien sûr être victime d’un accident, mais il peut également en être l’auteur. Dans ce dernier cas, un cycliste qui renverse quelqu’un, un piéton ou un autre cycliste, engage sa responsabilité. S’il a commis une faute, et même d’une manière plus large, s’il a touché quelqu’un avec son vélo, voire seulement avec son corps, il y a une responsabilité, appelons-la aggravée, la responsabilité du fait des choses que l’on a sous sa garde. Ainsi, la responsabilité de l’auteur est engagée très facilement, parce qu’il y a une présomption de responsabilité qui pèse sur lui et dont il faut se décharger. Chose qui n’est pas simple. Donc, dans un sens, le cycliste vit dangereusement à deux égards. Il peut être facilement victime d’un accident, mais il peut aussi être auteur d’un accident. Et là, s’il n’est pas assuré, il peut, le cas échéant, devoir passer à la caisse. Si la victime reste paraplégique, les dommages et intérêts peuvent devenir extrêmement élevés, aller dans les millions. Il est vrai que la victime est prise en charge par la sécurité sociale, mais la sécurité sociale peut aussi se retourner contre l’auteur et lui réclamer le remboursement des sommes qu’elle a déboursées en faveur de la victime. Encore une fois, s’il n’est pas assuré, la situation peut devenir extrêmement délicate et difficile à gérer.

Comment peut-on s'assurer ?

Georges Ravarani :

Il s’agit d’une assurance responsabilité civile qui n’a rien à voir avec la RC automobile qui, elle, est obligatoire. On fait souvent la confusion avec l’assurance habitation qui est une assurance de choses, mais on parle bien de la responsabilité civile ordinaire. Elle coûte aux environs de 80 € par an et n’est malheureusement pas obligatoire, alors qu’elle est vitale. Un accident peut vous arriver, et pas seulement à vélo. Si vous heurtez quelqu’un dans un escalier, il peut se blesser grièvement. Il y a l’assurance sociale (caisse de maladie etc.) qui prendra en charge la victime, mais elle peut se retourner contre vous si si vous êtes responsable de l’accident. Donc, à mon avis, il est essentiel pour un cycliste, et pour tout citoyen, de disposer d’une assurance responsabilité civile.

Est-ce que cette responsabilité civile n’est pas automatiquement comprise dans l’assurance habitation ou dans les divers produits des assureurs ?

Georges Ravarani :

Il faut bien entendu toujours regarder ce qui est imprimé en petits caractères. Il faut en tout cas s’y intéresser et peut-être insister auprès de l’assureur que le fait de faire du vélo sera également couvert.

En tout cas, la RC n’est pas obligatoire, contrairement à une assurance automobile ou même une assurance habitation…

Georges Ravarani :

Pendant des années, j’ai toujours plaidé pour qu’elle soit obligatoire, au même titre que l’assurance auto. Dans la vie de tous les jours, on peut facilement être auteur d’un accident, alors pourquoi ne pas la rendre aussi obligatoire ? D’autant plus que la prime est assez modique. Je persiste et je signe, ceux qui n’en souscrivent pas vivent dangereusement.

Selon vous, pourquoi elle n’est pas obligatoire ?

Georges Ravarani :

Les gens ne voient pas tout le potentiel de responsabilité qui les guette dans la vie de tous les jours. Voilà pourquoi il n’y a pas de prise de conscience collective de ce danger et il vrai qu’il n’y a pas beaucoup de cas au regard de l’ensemble de la population. Mais ceux que ça touche, pour eux, c’est un désastre.

La cohabitation entre les usagers, piétons, vélo, automobilistes est parfois complexe et il existe une réelle animosité entre eux. Êtes-vous également de cet avis ?

Georges Ravarani :

Je suis cycliste moi-même et je peux témoigner de cette animosité. Mais je dois aussi dire qu’il y a de l’hostilité réciproque et je crois qu’il y a des torts partagés. Parmi les automobilistes, il y en a qui sont vraiment hostiles et qui essayent de se rapprocher pour vous déstabiliser. Mais il y a aussi des cyclistes qui se fichent de toutes les règles et traversent n’importe comment.

Pour autant le cycliste reste plus faible et la jurisprudence est souvent de son côté…

Georges Ravarani :

Quand le cycliste est victime et qu’il est renversé par une voiture, le conducteur  se retrouve quasi automatiquement avec une présomption de responsabilité qui pèse sur lui. L’automobiliste ne peut s’en exonérer qu’en prouvant un cas de force majeure, ce qui est presque impossible à faire. Mais il peut tenter de prouver la faute de la victime qui a contribué le cas échéant à l’accident. Par exemple, l’automobiliste roule un peu trop vite, mais il y a un cycliste qui ne respecte pas un stop et il le touche. Les deux sont en faute. Alors les tribunaux regardent, font la part des choses : 60 %, 40 %, moitié-moitié p.ex.

D’un autre côté, le cycliste a l’obligation d’être raisonnable. Prenons pour exemple le port du casque, qui n’est pas obligatoire. Ne pas en porter, est-ce un comportement raisonnable et prudent ? Il y a un arrêt de la cour d’appel datant de 2000 qui a dit que puisque le port du casque n’est pas obligatoire, on ne peut pas reprocher à un cycliste de ne pas en porter, ce qui fait donc office de jurisprudence. Mais je crois que la société a évolué. Quand j’ai commencé à faire du vélo, il y avait peut-être 10 % des cyclistes qui portaient un casque. Maintenant, c’est l’inverse avec peut-être 10 % qui ne portent pas de casque. Il y a une sorte de consensus sur le fait que porter un casque est une mesure raisonnable. Je ne suis donc pas convaincu que cette jurisprudence va tenir. On peut imaginer un revirement où on dira que ne pas porter de casque est un défaut de prévoyance qui peut être mis à la charge du cycliste. Je me réfère à quelque chose d’analogue du temps où le port de la ceinture de sécurité n’était pas obligatoire dans les voitures. À l’époque, la jurisprudence a dit que le défaut du port de la ceinture est quand même une imprudence, alors que ce n’était même pas encore légalement imposé. Elle a été rendue obligatoire par la suite. Par analogie, je dirais que le défaut du port du casque constitue aussi une imprudence et à mettre en relation de cause à effet avec l’aggravation du dommage.

Est-ce que l’on peut « casser » une jurisprudence ?

Georges Ravarani :

Un revirement de jurisprudence peut se produire quand les temps changent, quand les circonstances changent, quand les tribunaux en prennent compte et  changent leur approche à un problème. Dans notre système, la jurisprudence est une source d’inspiration, mais ce n’est pas une loi.

Vous l’avez dit, les échanges entre cyclistes et automobilistes sont parfois compliqués. Comment améliorer les choses ? Faut-il davantage de sensibilisation, une plus grande culture vélo ou une plus grande répression ?

Georges Ravarani :

Malheureusement, je ne suis pas très optimiste. Je ne crois pas trop dans l’éducation et la bonne volonté. On change de camp tellement souvent. Quand je suis piéton et cycliste, j’engueule les voitures, quand je suis automobiliste, j’engueule les piétons et les cyclistes. La seule chose qui pourrait marcher, c’est la peur des gendarmes. Par exemple, imposer le respect des 1,5 mètre. Mais là encore, c’est extrêmement difficile à appliquer. On pourrait imaginer mettre des caméras publiques, mais il faut encadrer cela par la loi.

Les infrastructures jouent-elles un rôle dans cette relation complexe entre les usagers ?

Georges Ravarani :

On ne peut pas faire des pistes cyclables partout. Sur les routes de campagne, on dépend du bon vouloir des automobilistes. Il y a des automobilistes qui respectent les cyclistes, mais il y en a qui détestent les cyclistes et deviennent plus agressifs.

En vous écoutant, ça ne donne plus envie de faire du vélo…

Georges Ravarani :

Les pistes cyclables ne sont pas exemptes de danger. Mais heureusement, le Luxembourg a un réseau exceptionnellement dense de routes secondaires. Là, on peut encore trouver son plaisir, il faut en profiter. Il y a également les chemins ruraux qui sont plus sécurisants. Mais les routes nationales, c’est suicidaire de rouler dessus.

Ce n’est pas très rassurant au final. N’avez-vous pas encore de l’optimisme sur ce sujet ?

Georges Ravarani :

On peut être pessimiste dans ses opinions mais il faut rester optimiste dans ses actions. Pour autant, il faut  rester réaliste : la sensibilisation et l’éducation ne sont malheureusement pas la solution au problème. Peut-être un retour de la peur du gendarme…

Un cycliste peut-il se mettre en faute par souci de sécurité ? Par exemple en roulant sur le trottoir pour éviter d’être sur la route…

Georges Ravarani :

Je dois l’avouer, parfois, je prends le vélo pour aller en ville. Je roule sur le trottoir parce que je sais qu’il n’y a personne et je me dis que c’est plus sûr pour moi. Il y a eu une affaire intéressante où un tribunal de première instance a dit qu’il est compréhensible qu’un cycliste roule sur le trottoir. On reprochait au cycliste qui avait heurté la portière ouverte d’un véhicule et qui était tombé d’avoir commis une faute parce qu’il avait circulé sur le trottoir. I Décision réformée en appel par la Cour d’appel qui a souligné que rouler sur le trottoir était défendu, donc on retient la faute du cycliste. Ce sont deux philosophies totalement différentes, mais la Cour d’appel a bien entendu le dernier mot puisque c’est l’instance supérieure. Pour moi, c’est une question de philosophie. La solution est d’être raisonnable dans sa pratique. Si je roule sur le trottoir, je fais profil bas. Mais il y en a qui viennent à toute allure et les piétons ne savent pas comment se sauver. Au final, c’est une question de vivre ensemble.

Est-ce que le recours aux caméras pourrait être la solution pour réduire cette animosité entre les usagers ?

Georges Ravarani :

Les caméras détecteraient les infractions. I On pourrait plus facilement détecter le non-respect des 1,5 mètre. Mais il faudrait encadrer légalement cette pratique et prévoir des limites. Car il y va aussi de la protection de la vie privée. Des caméras sur les cyclistes, c’est plus compliqué et c’est certainement illégal.

Au final, quel est le meilleur conseil à donner à un cycliste ?

Georges Ravarani :

Il doit vérifier qu’il est bien assuré, respecter le code de la route et porter un casque. Les cyclistes doivent reconnaître qu’ils vivent dangereusement, tant comme auteurs que comme victimes.